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"Il ne faut pas juger les gens sur leurs fréquentations. Juda avait des amis irréprochables." VERLAINE*

samedi 25 février 2012

La fin d'Alexandre.


Alexandre se demandait comment l'on faisait. Quel était l'usage, pour un suicidé du métro ? Bien sûr, à présent que c'était fait, il était soulagé - le bien était accompli.


La journée avait à peine commencée - sept heure, tout au plus. Il avait choisi cet horaire par délicatesse, pour retarder le moins de monde possible. Il avait aussi écrit une lettre, glissée dans sa poche, pour le chauffeur qui allait le tuer. Alexandre avait toujours été très attentionné. 

Il s'était acheté un croissant et s'était dit, en pénétrant dans la boulangerie, que si la vendeuse lui plaisait - et si la viennoiserie était bonne - alors, peut-être, il pourrait remonter chez lui. La boulangère surgit de l'arrière boutique. Ses gros seins vieillis et ses cernes lui firent l'effet d'un baiser de grand mère, baveux, désagréable, forcé. Sa main grasse toucha la propre main d'Alexandre qui fut secoué d'un très léger frisson. Il goûta un croissant. Maigre, luisant, empli d'air - étouffant. Il mangea tout en se dirigeant vers la station.

Il l'avait choisie bien exprès : les rails étaient hauts, quasiment à la hauteur du quai - cela ferait moins peur. Mais alors, comment faisait-on ? En face de lui, trois clochards dormaient dans la lumière verte et glacée du distributeur de sucreries. A ses côtés, un cadre en costume-cravate, et un petit vieux, assis tout au bord d'un siège crasseux. Que faisait un petit vieux à cette heure-ci dans le métro ? 

Alexandre se sentait si calme - cela faisait longtemps. Il n'avait presque plus envie d'en finir, c'était trop agréable, cette sensation d'enfin tout contrôler. Mais la prochaine rame passait dans quatre minutes - quatre minutes, c'était largement suffisant pour apprécier pleinement cette sensation. 
Soudain une inquiétude le prit. Et la lettre, la lettre pour le chauffeur, allait-on la retrouver ? Allait-on la lui donner ? Il la sortit de sa poche. Sur son torse ? Mais s'il éclatait et s'éparpillait, on ne pourrait distinguer du papier blanc dans tout ce sang. Dans sa main ? Mais sans doute que dans trois minutes et trente secondes, sa main n'allait plus être qu'un amas de chaire encore bouillante et définitivement repoussante. L'effroyable, la crue réalité de ce qu'allait être son corps fit pendant quelques instants battre son coeur plus vite, comme si l'humaine peur de la mort se compressait dans ce seul organe.
Mais Alexandre revint à l'esprit. 

Plus que deux minutes - la peur avait accéléré le temps - la lettre, il fallait trouver un moyen. 

Maintenant que c'était fait, il était satisfait de la solution. Le chauffeur, blême, lisait silencieusement, les mots se formant sur sa bouche comme pour mieux les comprendre. Alexandre ne savait si cela le rassurerait, mais enfin, il avait été poli. 

Plus qu'une minute. Sans réfléchir, Alexandre regarda le petit vieux avec insistance et posa la lettre à ses côtés, sur un autre siège jaune et sale. Puis, calme, plus calme qu'il n'avait été de toute sa vie, plus apaisé et aussi, peut-être, plus heureux, il se dirigea vers le bord du quai. 
Alors, il su comment faire. Alexandre était poli et discret - il se mit tout au bout du quai, tout au bord du tunnel, regardant une dernière fois le vieux, avec même un petit sourire. Il se mit au bout du quai - plus que trente seconde. Il entendait déjà le Salut qui arrivait en sifflant et en soufflant. Lorsqu'il vit les yeux jaunes, comme ceux d'une chenille essoufflée prête à le manger avec indulgence, lorsqu'il les vit, lestement - il sauta. 

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