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"Il ne faut pas juger les gens sur leurs fréquentations. Juda avait des amis irréprochables." VERLAINE*
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dimanche 9 juin 2013

Maux de tête et rencontres imaginaires.

Il n'y aura pas mon nom sur cette liste, non. Peut-être aussi qu'il n'y aura jamais mon nom au bas d'une affiche et au début d'un générique. Peut-être que je ne ferai pas ça, peut-être que je ne ferai rien de ma vie, du moins ce rien tel que je le conçois aujourd'hui. 

Mais mon nom est déjà à la fin d'un petit "clip" qui sera bientôt en ligne les amis, très bientôt ! J'ai eu un aperçu du site ce week-end et c'est vraiment sympa, j'espère que ça va marcher. 

J'écris plus trop ici parce que j'ai pas le temps, parce que je suis dans un mood tendance je-raconte-ma-vie-en-mode-14-piges donc bon, je tente de calmer mes mauvaises ardeurs. Mais je voulais quand même laisser un petit mot ce soir. 

Et même du coup tiens, je me dis que je vais vous mettre ça : la suite des aventures avortées de mon héroïne avortée, avec des héros très grands que j'aime beaucoup dedans. Bisous ! 


Milan Kundera n'est pas mort. Pourtant c'est bien lui qui se trouve devant Marie, à cet instant même. Après tout, quelle loi pour les rêves (même les rêves d'apprentissage) impose que le maître soit mort ? Marie cherche bien, elle ne trouve pas.
Milan Kundera fume une cigarette blanche, sans marque. Il est au soleil et sourit. Marie n'ose pas trop lui parler. Quelqu'un de vivant dans le monde réel est beaucoup plus intimidant en rêve...
Milan Kundera finit par se tourner vers la jeune fille. Il ne sourit plus et pointe un doigt accusateur, chez lui c'est tout un symbole. Marie se sent aussitôt prise en faute, alors elle parle très vite.

- Je voulais votre avis sur la musique, j'en ai besoin pour comprendre... mais je peux partir, si vous le souhaitez.
- Mon avis sur la musique...
- Dans le roman. La musique dans le roman.

Kundera se remet à sourire. Il lui désigne l'un des fauteuils de rotin dormant à l'ombre d'un olivier, lui sert une orangeade puis s'assoit en face d'elle, la fixant droit dans les yeux. Il la scrute ainsi pendant un long moment et elle n'ose pas parler, elle n'ose même pas le contempler en retour. Marie a perdu beaucoup d'assurance depuis sa rencontre avec Matisse. La suite de sa nuit n'avait pas été de tout repos et entre courses-poursuites dans les couloirs de Beaubourg et fantasmagories teintées de bleu-nuit, elle n'est déjà plus vraiment la même qu'à son assoupissement.
Le romancier prend enfin une feuille, un crayon à papier taillé finement, et commence à tracer non pas des mots mais des schémas. Trois schémas faits de cases, de flèches précises et légendées. Marie est un peu rassurée, elle aime bien les choses carrées, organisées. Elle suit avide le mouvement de la mine sur le papier grisé par l'ombre en buvant de petites gorgées d'orangeade. Elle sent renaître en elle le désir de comprendre, elle sent l'impatience finir par se dresser avide, prête à tout gâcher.

- Alors ? Finit-elle par lâcher et elle s'en veut aussitôt. Mais l'homme est indulgent, la musique et le roman c'est son sujet préféré.
- Regarde.

Il lui tend la feuille.

- Tu vois ? Beethoven, moi musique, moi écrit. Pareil. La structure, c'est là le point commun. La structure ! On compose un roman comme on compose une symphonie et chaque phrase est une note, chaque chapitre est une phrase musicale. Certains mots parcourent mes récits comme un thème musical : légèreté, kitsch, machisme...C'est aussi simple et complexe que cela.

Quelqu'un éclata de rire derrière Marie. Elle se retourna brusquement. Un être grand, frêle et moustachu se tenait appuyé sur une canne. Il semblait à la fois extrêmement fragile et hautain. Marcel Proust s'avança doucement sous l'olivier et prit un fauteuil sans permission. Kundera sourit toujours avec indulgence, Marie se sent/se sentit outragée (et voilà que son rêve mélange présent et passé, sou cerveau doit décider qui se meut à quel temps : elle au présent, Proust au passé). Marcel sentait l'extrême droite de l'Action Française et l'intelligence fine du grand auteur qu'il fut. Il prit un verre d'orangeade et s'installa confortablement.

- La musique dans le roman n'est pas une question de structure. D'ailleurs je trouve ce sujet ridicule. Musique et roman n'ont absolument rien à voir.
- Pourquoi, dans ce cas, avoir décrit une sonate imaginaire ? Demande doucement Milan Kundera.
- C'est différent. La sonate de Verneuil possède un but purement expérimental, de même que la madeleine. Je cherchais à décrire ce qu'un homme peut ressentir à l'écoute de la musique. Swann ressent d'ailleurs bien plus lorsque résonne cette petite phrase musicale, son amour est bien plus fort et durable que celui qu'il ressent pour Odette de Crécy.
- Mais monsieur, intervient timidement Marie, au final on arrive au même résultat : le roman se retrouve mêlé à la musique, il décrit et vit la musique.
- Peut-être, si tu veux. Mais je crois que ce n'est pas forcément ce que je voulais. C'est l'humain qui m'a intéressé. Or l'humain sans madeleine, sans enfance, sans amour et sans musique, ça n'a plus rien d'humain. Alors il a fallu que j'introduise la musique, de la même façon qu'il a fallu que j'introduise et analyse tout le reste.

Marie trouve cela très décevant de la part de l'un de ses auteurs favoris. Elle sait qu'elle n'apprécie pas beaucoup Marcel Proust tel qu'il lui apparaît mais elle aurait souhaité qu'il ne fut pas si froid avec son oeuvre. Alors elle a envie de se venger et lui expulse quelque chose à la figure, qu'elle espère aussi vexant que si elle avait osé lui jeter son verre de jus sucré au visage.
- Vous aimiez la musique pourtant, vous aviez plein d'amis musiciens.
Proust n'eut pas le temps de se justifier (il avait effectivement l'air agacé) qu'un ricanement s'éleva à nouveau, cette fois au dessus de Marie.

Pourquoi Boris Vian se tenait-il soudain là, perché sur une branche fine d'olivier, un verre de scotch à la main ? Que faisait-il ici ? Marie l'ignore, et elle hésite entre l'enchantement d'une telle rencontre et l'agacement de son caractère impromptu. Vian entre Kundera et Proust ? Quel rapport ?

- La musique, répondit-il de son ton agressif et sarcastique. La musique dans le roman, qu'est-ce que tu crois ? C'est moi qui l'incarne le mieux.

Les deux vieux s'esclaffent ou plutôt Kundera s'esclaffe, Proust s'esclaffa. Mais Vian ne se démonta pas et s'alluma un petit cigare (cela sentait les caves de Saint-Germain). Son visage était lisse, pâle, à la fois provocateur et timide, mais il savait ce qu'il valait.

- La musique est aphrodisiaque. Elle participe à la sensualité violente de J'irai cracher sur vos tombes, et...
- Encore J'irai cracher sur vos tombes ! S'amuse Kundera. Vous pourriez être fier d'un autre roman, quand on sait que son adaptation cinématographique (sa mise en image et en musique, donc) vous a tué.
- Très drôle, répondit agacé le musicien. Parlons d'un autre alors. L'écume des jours.
- Chloé, Duke Ellington, murmure Marie.

Vian lui tendit la main d'un air appréciateur, défiant les autres du regard.

- Voilà, merci ! Je savais que je devais venir. Chloé est un véritable et magnifique morceau de jazz et il donne tout le ton du roman. Il annonce le bonheur des héros et leur tragédie. Il résonne à chaque moment important du récit. Mes romans sont bien plus musicaux que les vôtres parce que la musique est en filigrane, elle se glisse dans l'inconscient du lecteur comme le décor, comme le physique des personnages. Et comme ces deux derniers éléments elle est indispensable à la vie de mes histoires.
Silence. Proust s'était aussi alumé du tabac, une pipe étroite et gravée. Marie les regarde, ses trois maîtres-auteurs, ces trois hommes qu'elle aime et craint et déteste un peu aussi pour ce qu'ils ont pu être ou ce qu'ils sont. Tout trois fument et la fumée grise de Kundera, la fumée blanche de Proust et celle, bleutée, de Vian se mêlent pour ne plus former qu'une pensée à la fois confuse et très nette.
Soudain Proust et Vian entendirent, Kundera et Marie entendent une lointaine cacophonie, comme un brouaha produit par un vieux microphone. Ce son étrange se rapproche, se rapprocha et Marie entend un cri venant du ciel.

- Excuse me but I was the first to really introduce music in roman... On the road is a rythmic story, don't you think ?

C'était Jack Kerouac qui, du haut d'un petit avion, criait son désaccord. Une autre voix se fit entendre, c'était Marguertie Duras qui était un peu vexée : « Et Moderato Cantabile, alors ? Et Le ravissement de Lol V. Stein ? ».


Puis une autre encore et toutes prétendent être la véritable incarnation de la musique dans le roman et Marie comprend soudain que ce rêve, parmi tout ceux qui peuplent la littérature, demeure le plus étrange et l'un des plus convoités. Elle comprend qu'il existe mille manière de mêler littérature et musique et que cette nuit elle en a appris trois, après tout elle est juste là pour ça. Les cris augmentent de volume et de nombre, elle ne peut plus réfléchir et tout disparaît à nouveau. Elle est portée un peu plus loin dans ses pensées vagabondes, un peu plus loin dans cette nuit interminable.