Il n'y aura pas mon nom sur cette liste, non. Peut-être aussi qu'il n'y aura jamais mon nom au bas d'une affiche et au début d'un générique. Peut-être que je ne ferai pas ça, peut-être que je ne ferai rien de ma vie, du moins ce rien tel que je le conçois aujourd'hui.
Mais mon nom est déjà à la fin d'un petit "clip" qui sera bientôt en ligne les amis, très bientôt ! J'ai eu un aperçu du site ce week-end et c'est vraiment sympa, j'espère que ça va marcher.
J'écris plus trop ici parce que j'ai pas le temps, parce que je suis dans un mood tendance je-raconte-ma-vie-en-mode-14-piges donc bon, je tente de calmer mes mauvaises ardeurs. Mais je voulais quand même laisser un petit mot ce soir.
Et même du coup tiens, je me dis que je vais vous mettre ça : la suite des aventures avortées de mon héroïne avortée, avec des héros très grands que j'aime beaucoup dedans. Bisous !
Milan Kundera n'est pas mort. Pourtant
c'est bien lui qui se trouve devant Marie, à cet instant même.
Après tout, quelle loi pour les rêves (même les rêves
d'apprentissage) impose que le maître soit mort ? Marie cherche
bien, elle ne trouve pas.
Milan Kundera fume une cigarette
blanche, sans marque. Il est au soleil et sourit. Marie n'ose pas
trop lui parler. Quelqu'un de vivant dans le monde réel est beaucoup
plus intimidant en rêve...
Milan Kundera finit par se tourner vers
la jeune fille. Il ne sourit plus et pointe un doigt accusateur, chez
lui c'est tout un symbole. Marie se sent aussitôt prise en faute,
alors elle parle très vite.
- Je voulais votre avis sur la
musique, j'en ai besoin pour comprendre... mais je peux partir, si
vous le souhaitez.
- Mon avis sur la musique...
- Dans le roman. La musique dans le
roman.
Kundera se remet à sourire. Il lui
désigne l'un des fauteuils de rotin dormant à l'ombre d'un olivier,
lui sert une orangeade puis s'assoit en face d'elle, la fixant droit
dans les yeux. Il la scrute ainsi pendant un long moment et elle
n'ose pas parler, elle n'ose même pas le contempler en retour. Marie
a perdu beaucoup d'assurance depuis sa rencontre avec Matisse. La
suite de sa nuit n'avait pas été de tout repos et entre
courses-poursuites dans les couloirs de Beaubourg et fantasmagories
teintées de bleu-nuit, elle n'est déjà plus vraiment la même qu'à
son assoupissement.
Le romancier prend enfin une feuille,
un crayon à papier taillé finement, et commence à tracer non pas
des mots mais des schémas. Trois schémas faits de cases, de flèches
précises et légendées. Marie est un peu rassurée, elle aime bien les choses carrées, organisées. Elle suit avide le mouvement
de la mine sur le papier grisé par l'ombre en buvant de petites
gorgées d'orangeade. Elle sent renaître en elle le désir de
comprendre, elle sent l'impatience finir par se dresser avide, prête
à tout gâcher.
- Alors ? Finit-elle par lâcher et
elle s'en veut aussitôt. Mais l'homme est indulgent, la musique et
le roman c'est son sujet préféré.
- Regarde.
Il lui tend la feuille.
- Tu vois ? Beethoven, moi musique, moi
écrit. Pareil. La structure, c'est là le point commun. La structure
! On compose un roman comme on compose une symphonie et chaque phrase
est une note, chaque chapitre est une phrase musicale. Certains mots
parcourent mes récits comme un thème musical : légèreté, kitsch,
machisme...C'est aussi simple et complexe que
cela.
Quelqu'un éclata de rire derrière
Marie. Elle se retourna brusquement. Un être grand, frêle et
moustachu se tenait appuyé sur une canne. Il semblait à la fois
extrêmement fragile et hautain. Marcel Proust s'avança doucement
sous l'olivier et prit un fauteuil sans permission. Kundera sourit
toujours avec indulgence, Marie se sent/se sentit outragée (et voilà
que son rêve mélange présent et passé, sou cerveau doit décider
qui se meut à quel temps : elle au présent, Proust au passé).
Marcel sentait l'extrême droite de l'Action Française et
l'intelligence fine du grand auteur qu'il fut. Il prit un verre
d'orangeade et s'installa confortablement.
- La
musique dans le roman n'est pas une question de structure.
D'ailleurs je trouve ce sujet ridicule. Musique et roman n'ont
absolument rien à voir.
- Pourquoi, dans
ce cas, avoir décrit une sonate imaginaire ? Demande doucement
Milan Kundera.
- C'est
différent. La sonate de Verneuil possède un but purement
expérimental, de même que la madeleine. Je cherchais à décrire
ce qu'un homme peut ressentir à l'écoute de la musique. Swann
ressent d'ailleurs bien plus lorsque résonne cette petite phrase
musicale, son amour est bien plus fort et durable que celui qu'il
ressent pour Odette de Crécy.
- Mais monsieur,
intervient timidement Marie, au final on arrive au même résultat :
le roman se retrouve mêlé à la musique, il décrit et vit la
musique.
- Peut-être, si
tu veux. Mais je crois que ce n'est pas forcément ce que je
voulais. C'est l'humain qui m'a intéressé. Or l'humain sans
madeleine, sans enfance, sans amour et sans musique, ça n'a plus
rien d'humain. Alors il a fallu que j'introduise la musique, de la
même façon qu'il a fallu que j'introduise et analyse tout le
reste.
Marie trouve cela
très décevant de la part de l'un de ses auteurs favoris. Elle sait
qu'elle n'apprécie pas beaucoup Marcel Proust tel qu'il lui apparaît
mais elle aurait souhaité qu'il ne fut pas si froid avec son oeuvre.
Alors elle a envie de se venger et lui expulse quelque chose à la
figure, qu'elle espère aussi vexant que si elle avait osé lui jeter
son verre de jus sucré au visage.
- Vous aimiez la
musique pourtant, vous aviez plein d'amis musiciens.
Proust n'eut pas le
temps de se justifier (il avait effectivement l'air agacé) qu'un
ricanement s'éleva à nouveau, cette fois au dessus de Marie.
Pourquoi Boris Vian
se tenait-il soudain là, perché sur une branche fine d'olivier, un
verre de scotch à la main ? Que faisait-il ici ? Marie l'ignore, et
elle hésite entre l'enchantement d'une telle rencontre et
l'agacement de son caractère impromptu. Vian entre Kundera et Proust
? Quel rapport ?
- La musique,
répondit-il de son ton agressif et sarcastique. La musique dans le
roman, qu'est-ce que tu crois ? C'est moi qui l'incarne le mieux.
Les deux vieux
s'esclaffent ou plutôt Kundera s'esclaffe, Proust s'esclaffa. Mais
Vian ne se démonta pas et s'alluma un petit cigare (cela sentait les
caves de Saint-Germain). Son visage était lisse, pâle, à la fois
provocateur et timide, mais il savait ce qu'il valait.
- La musique est
aphrodisiaque. Elle participe à la sensualité violente de J'irai
cracher sur vos tombes, et...
- Encore J'irai
cracher sur vos tombes ! S'amuse Kundera. Vous pourriez être
fier d'un autre roman, quand on sait que son adaptation
cinématographique (sa mise en image et en musique, donc)
vous a tué.
- Très drôle,
répondit agacé le musicien. Parlons d'un autre alors. L'écume
des jours.
- Chloé,
Duke Ellington, murmure Marie.
Vian lui tendit la
main d'un air appréciateur, défiant les autres du regard.
- Voilà, merci
! Je savais que je devais venir. Chloé est un véritable et
magnifique morceau de jazz et il donne tout le ton du roman. Il
annonce le bonheur des héros et leur tragédie. Il résonne à
chaque moment important du récit. Mes romans sont bien plus
musicaux que les vôtres parce que la musique est en filigrane, elle
se glisse dans l'inconscient du lecteur comme le décor, comme le
physique des personnages. Et comme ces deux derniers éléments elle
est indispensable à la vie de mes histoires.
Silence. Proust
s'était aussi alumé du tabac, une pipe étroite et gravée. Marie
les regarde, ses trois maîtres-auteurs, ces trois hommes qu'elle
aime et craint et déteste un peu aussi pour ce qu'ils ont pu être
ou ce qu'ils sont. Tout trois fument et la fumée grise de Kundera,
la fumée blanche de Proust et celle, bleutée, de Vian se mêlent
pour ne plus former qu'une pensée à la fois confuse et très nette.
Soudain Proust et
Vian entendirent, Kundera et Marie entendent une lointaine
cacophonie, comme un brouaha produit par un vieux microphone. Ce son
étrange se rapproche, se rapprocha et Marie entend un cri venant du
ciel.
- Excuse me but
I was the first to really introduce music in roman... On the road
is a rythmic story, don't you think ?
C'était Jack
Kerouac qui, du haut d'un petit avion, criait son désaccord. Une
autre voix se fit entendre, c'était Marguertie Duras qui était un
peu vexée : « Et Moderato Cantabile, alors ? Et Le
ravissement de Lol V. Stein ? ».
Puis une autre
encore et toutes prétendent être la véritable incarnation de la
musique dans le roman et Marie comprend soudain que ce rêve, parmi
tout ceux qui peuplent la littérature, demeure le plus étrange et
l'un des plus convoités. Elle comprend qu'il existe mille manière
de mêler littérature et musique et que cette nuit elle en a appris
trois, après tout elle est juste là pour ça. Les cris augmentent
de volume et de nombre, elle ne peut plus réfléchir et tout
disparaît à nouveau. Elle est portée un peu plus loin dans ses
pensées vagabondes, un peu plus loin dans cette nuit interminable.